Tour du lac de Comabbio, les villages
- Karin
- 8 avr.
- 9 min de lecture
Alors dimanche il a fait beau.
Donc nous retournons dans la région des trois lacs vers Varese.
Résumé des épisodes précédents ici ou en fin de billet.
Aujourd’hui nous effectuons à nouveau le tour du lac de Comabbio, mais en voiture. J’ai un peu honte de le dire à notre ère écolo-correcte-en-plus-de-tout-le-reste mais oui, nous avons fait ça. Car lors de notre tour du lac à pieds nous n’avons pas eu le temps de visiter les cinq localités qui le bordent.
Nous commencerons notre road-trip par Varano Borghi afin d’en parcourir quelques étapes de son Museo Diffuso.
En nous garant près de son cimetière, nous effectuerons quelques 5 kilomètres à pieds.
Et toc.

Cette première étape au cimetière nous permet de découvrir la chapelle Borghi et de commencer à dévoiler l’histoire de la bourgade intimement liée à cette famille. Leur ère commence en 1819 lorsque Pasquale achète un ancien moulin sur le ruisseau Brebbia pour y établir une entreprise de coton. L’aventure fut florissante et dans la foulée, ses petits-fils transformèrent le village de Varano en petite ville industrielle. Autour de l’usine de coton furent construits des maisons d’ouvriers et d’élégants bâtiments de style anglo-saxon, pour les cadres. La famille a également fait bâtir des écoles, une ligne de chemin de fer et une caserne de pompiers. Sans compter la construction de la nouvelle église et du cimetière avec leur chapelle dédiée. D’ailleurs, revenons-y en photos.
Après avoir longé des serres abandonnées qui ne sont de loin pas les seuls endroits rendus à la nature dans cette région, nous rejoignons la piste cyclable qui relie le lac de Comabbio à celui de Varese. Nous longeons pendant quelques centaines de mètres les marais pour nous diriger vers une fraction décentrée de Varano Borghi. Ici, la végétation printanière questionne un peu.
Le Museo Diffuso le dit en titre, le village est cité du coton. Nous arrivons alors vers l’ex-cotonificio tout de briques vêtu. Même pour l’architecture de l’usine, la famille Borghi a accordé une grande attention à l’esthétique, la faisant décorer de frises et d’arcs. L'usine s'est agrandie au fil des ans et les départements de filature et de tissage ont été rejoints par ceux de teinture et de blanchiment. À l'intérieur des tours, des escaliers et des monte-charges permettaient le passage continu des ouvriers et des matériaux à travers les départements. Au sommet de ces tours étaient installés les réservoirs d'eau qui alimentaient le système de lutte contre l'incendie. Toutes les pièces étaient revêtues de bois et les grandes fenêtres donnaient de la lumière et de l'air aux zones de travail. Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, une ligne de chemin de fer reliait l'usine à la gare de Ternate-Varano et servait à transporter les matières premières et à envoyer le produit fini dans le monde entier. Une véritable citadelle du travail qui, en 1909, comptait un atelier de 1 200 métiers à tisser et environ deux mille ouvriers. Cependant, c'est lors de cette apogée que le déclin a commencé et en 1913, l'usine a été vendue à une société française. Après une forte diminution de la production, l'usine a été fermée dans les années 60. Vendue au groupe TBM dans les années 80, elle a été partiellement restaurée et certains départements semblent avoir repris. En 2011, la fille du fondateur de TBM crée la marque Borghi 1819, une ligne de tissus destinée à la mode de luxe. À l'occasion du bicentenaire de la filature, elle y transfère ses bureaux dans le site historique "entièrement rénové" (dixit le site officiel). Il est difficile aujourd’hui de s’approcher de l’ancienne usine et de comprendre ce qu’elle abrite maintenant. Profitant d’un portail ouvert sur un parking, nous entrerons dans son enceinte mais nous nous ferons immédiatement hurler dessus par deux types en costard (en coton?) qui nous menacent d’entrée d’appeler les carabiniers. C'est vrai qu'on doit faire assez peur.
Non loin, la fraction de Boffalora est un hameau rural plutôt délabré dont la placette s’orne d’un palazzo de l’époque Borghi. Il est bordé d’une usine électrique et de logements à l’abandon, usine dont nous aurons enfin une vue dégagée sur le cotonificio. Nous n’avons commis aucune infraction en nous rendant sur ce lieu, cependant je vous en déconseille la visite, celle-ci pouvant également déboucher sur un appel aux carabiniers.
Revenant en arrière, nous remontons vers le centre du village en découvrant le clocher en briques rouge de l’Eglise du Divin Rédempteur. Construite au début du XXème sous la direction des Borghi, elle est l’oeuvre de leur architecte fétiche, Paolo Cessa Bianchi, qui s’inspire de la Collégiale de Castiglione Olona. À côté de l'église on peut voir le Salon de la Paix, petite salle prévue pour les jeunes de la paroisse et construite en 1904.
Sur la place près de l'église se trouvent des immeubles pour les collaborateurs voulus par les Borghi au milieu du XIXe siècle. Autrefois richement décorés, ces édifices qui prennent ici le nom de "palazzi" sont toujours habités mais certains, un peu délabrés, semblent avoir été restaurés à l'emporte-pièce. Palazzo ne se traduit pas forcément par palais mais plus fréquemment par bâtiment. Cependant, ceux qui sont situés sur cette place noyée de voitures méritaient mieux que ce qu'il en reste. Non loin, et plus prestigieuse, on peut voir la villa Borghi. l'une des plus belles demeures historiques de la région de Varese. Elle se dresse sur les ruines d'un bâtiment plus ancien et c'est l'architecte Bianchi qui a conçu les plans de ses 65 pièces, toujours aux alentours de 1850. Elle est entourée d'un immense parc qui comprend des grottes artificielles et un petit lac. La villa a été transformée en hôtel de luxe.
Un peu plus tardif, le Palazzo Vittoria aussi appelé "Maison des seigneurs" hébergeaient les employés les plus importants. Nous verrons également le campanile de Sant'Andrea, seul reste de l'ancienne église datant du Moyen-Âge. Détruite puis reconstruite par les Borghi pour y abriter une école maternelle, l'église a maintenant complètement disparu pour laisser place au Municipio. Je crois bien que c'est la première fois que je vois une mairie de ce type.
Sur le chemin du retour, nous trouverons l'édifice dit Moncucco (rien à voir avec Desproges). Les origines de ce bâtiment sont incertaines mais il existait avant que les Borghi n'y logent leurs ouvriers. Les fenêtres en hublots du dernier étage sont typiques des lieux qui abritaient au XIXe siècle l'élevage de vers à soie. Un peu plus loin, nous dépasserons les Nouveaux Bâtiments, réservés aux familles d'agriculteurs qui travaillaient dans les fermes de la famille Borghi.
Nous reprenons maintenant notre véhicule pour nous rendre à Ternate, village tout proche dont le bord de lac et le parc sont aujourd’hui dimanche une vraie fourmilière. Beurk, quant à moi les balades dans la nature en groupes que je n'ai pas choisis, j'aime moyen. Heureusement qu’on a effectué le tour du lac un mercredi.
Ternate, hormis ses rives, c’est une église, une place jolie mais à nouveau blindée de bagnoles avec son monument aux morts et quelques restes néanmoins restaurés de maisons seigneuriales.
Nous nous dirigeons alors vers Comabbio, son étang un peu huileux et son ancien lavoir figé. Sur une façade de l’école, nous pourrons voir une fresque de Andrea Ravo Mattoni qu'il a réalisée en 2020 et qui reproduit le Baiser de Francesco Hayez.
D'autres oeuvres de l'artiste que nous avons pu croiser lors de nos balades.
Bacchus de Caravage à Melano
Socrate enseigne aux jeunes la conscience de soi de Francesco Mola aux Gole della Breggia
Garçon à la corbeille de fruits de Caravage à Angera
Le Morazzone de Pier Francesco Mazzuchelli à Lavena Ponte Tresa
La Bacchante de Jean-Léon Gérôme et La Liberté guidant le peuple de Delacroix, lieu abandonné.
Le centre du village est plutôt mort, nous y trouverons quelques expériences architecturales de styles divers, le Municipio beaucoup plus classique que celui de Varano Borghi et le monument aux morts un peu agressif.
Près du Santuaire de la Sainte-Vierge, aujourd'hui fermé, on trouve d'étonnants escaliers perdus sur un pan de la colline. Les différents sites que j'ai consultés donnent tous une version différente de la date et de l'initiateur de l'installation. Qui se différencient encore des panneaux sur le lieu. Je n'y retrouve plus mon latin. Bref, en 1934 ou en 1957, un prêtre ou un autre prêtre a fait construire 15 marches, ou 20, en marbre blanc de Carrare qui mènent au Sanctuaire de la Sainte-Vierge en rappelant les 15 étapes du Rosaire. Ici je commence à douter du discours de la pancarte car 15 marches semble plus logique mais sur le moment je n'ai pas pensé à compter et ma photo est peut-être tronquée.
Du haut de cette colline, on plonge sur l’usine Holcim qui a déjà figuré à l'arrière-plan de notre tour du lac.
Avec ou sans.
Devinette: combien y a-t-il de dragons dans la première photo?
Direction maintenant Mercallo et son église blanche et brique qui surplombe le lac. Pour tout vous dire, je ne sais pas s’il y a grand chose d’autre à voir à Mercallo et à ce moment-là de la visite, nous en avons un peu marre. En plus, j’ai un rendez-vous qui s’approche avec l'artiste de la Maison-Musée de Mario di Corgeno.
Mario di Corgeno aura bientôt 80 ans. Dès son enfance, il manifeste un intérêt et un don pour le dessin. Son professeur le recommande à un peintre milanais qui le prend sous son aile. À l'adolescence déjà, il se fait remarquer par un artiste florentin qui le forme dans la ville toscane avant de lui proposer de travailler avec lui à Londres auprès de la famille royale. Mario a refusé l'offre pour retourner s'installer à Corgeno afin d'y établir son atelier puis sa Casa Museo. Il a obtenu divers prix et reconnaissances, faisant quelques expositions dans la région et à Milan et se consacrant également à la poésie.
Lors de notre tour du lac, j’avais été interpellée par ses oeuvres disséminées dans un champ et j'étais allée chercher plus loin. J’avais donc voulu voir son incroyable maison peut-être digne du facteur Cheval et rencontrer l’artiste qui, puis-je lire, est volubile. Contact pris via son site, je m’attendais certainement à autre chose qu’à un vieux monsieur absent que j’ai dû réveiller de sa sieste sous la pendule de sa sombre cuisine. J’ai eu peine à échanger quelques paroles stériles, alors que je pensais qu’il nous faudrait nous trouver des excuses pour nous éclipser après 2 heures d’explications de ses oeuvres. Un peu frustrée donc par cette visite, et n’osant pas photographier de trop sous l’oeil passif du créateur trônant alors sur une chaise de sa terrasse, je vous laisse compléter mes photos par ce lien et le site de Mario. Sans avoir creusé son histoire en amont, je lui ai demandé si ses voisins appréciaient ses créations, voyant de quelle manière il était entouré. Il a rigolé et m’a fait entendre que c’était toute une histoire et que ses voisins ne le comprendraient jamais. J’ai lu ensuite qu'après avoir refusé de se rendre à Londres, il était retourné dans son village pour créer, remonté comme un coucou suisse mais il y avait rencontré l'hostilité de la population locale. On n'aura pas les détails de la dispute mais il parle de mépris, trahison et indifférence qui le détruisirent.
"Malgré la peur et une grande solitude, Mario a décidé de ne pas réagir et de chérir cette souffrance, transposant plus tard ces émotions en oeuvres de grande valeur."
Ses sculptures sont effectivement à la fois léchées et inquiétantes, comme contrebalancées par les lignes biscornues de ses oeuvres architecturales. J'ai adoré la folie de ses maisons de Hobbit et ses récupérations de vieux objets rouillés. Puisqu'on a décidé qu'il était fou !
Corgeno, quant à lui, est un village qui se distingue par son église San Giorgio et son clocher atypique. Construite à la fin du XIVe siècle, l'église faisait probablement partie d'une enceinte fortifiée, d'où cette ruine habitée d'une Sainte-Vierge qui surplombe le lac. À l'intérieur, il n'y a rien de notable et c'est un peu décevant.
Comme ces quatre autres localités qui bordent le lac de Comabbio, le village n’est pas forcément beau, formé d’un centre historique peu mis en valeur et étouffé par des zones résidentielles composées de logements hétéroclites. Nous ne ferons pas attention à la maison de commune ni à l'autre monument aux morts mais je ne manquerai pas de vous traduire la phrase de Mussolini qui s'étale sur une façade.

Je connais bien les populations rurales italiennes et je sais qu'elles sont toujours prêtes
à mettre le sac à dos et à troquer la bêche contre le fusil.
Néanmoins, s’il fallait n'en garder qu’un, ce serait Varano Borghi.
Quant à Mario, il prépare une exposition dans sa maison-musée le 7 juin 2025.
J'ai bien aimé Comabbio, aussi ! Dès lors je clôturerai ce compte-rendu par une vidéo d'Andrea Ravo Mattoni dans un reportage, certes français pour un Italien, mais qui donne un excellent survol de son oeuvre et une idée d'un certain gigantisme.
Sources:
Itinerari e Sapori: Comabbio
Wikipedia, Varese News et pancartes explicatives
Ci-dessous, le plan et détails de la balade générale et de la boucle dans Varano Borghi.
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