L’urbex, pour ceux qui ne le savent pas encore, est la contraction de «urban exploration». Cela consiste à visiter des constructions à l’abandon les plus diverses et cela est devenu malheureusement à la mode depuis quelques années. Malheureusement car comme toutes les modes, celle-ci amène sur des lieux, supposés secrets mais qui ne le sont plus, son lot d’illuminés, casseurs, fêtards, pilleurs et influenceurs à la con.
N’étant décidément pas une fille à la mode, j’ai réalisé mes premiers urbex sans le savoir dans les années 80 de l’autre siècle et sur les lieux où j’ai maintenant établi mon campement. A 12 ans, je menais ma petite troupe et nous visitions les maisons vides et autres ruines de notre hameau. Nous étions trois et un chat, ce qui ne se rapprochait à mon grand désespoir pas du tout de mes héros de l’époque, le Club des Cinq ou les Six Compagnons. Ayant franchi le mur, cachés sous la tonnelle envahissante du jardin de la Nini, une habitante un peu originale décédée quelques temps auparavant, nous reprenions notre souffle le coeur battant. Après avoir hésité de longues minutes, nous étions entrés dans la bâtisse dont les portes donnant sur la brousse n’étaient pas fermées à clé. Dans la pénombre, nous avions aperçu une cuisine rudimentaire et poussiéreuse. A l’étage, une chambre spartiate. C’est tout ce dont je me souviens. A part ces sentiments: l’adrénaline de pénétrer sur un lieu interdit, la nostalgie émise par ces images figées et la volonté de vouloir, en plus de les préserver, percevoir leur histoire. Ces sensations sont les mêmes quarante ans plus tard. Comme ça, vous savez tout. Pour la maison de la Nini, mes parents sont déjà au courant.
Depuis que je suis venue habiter au Tessin, la fièvre m’a repris. Il faut dire qu’ici, pour l’exploration urbaine, il y a pléthore. Dans la région Broye-Nord Vaudois, on trouve aussi des horreurs mais plus rarement complètement abandonnées.
Ci-dessous, diverses photos d'archives, prises à Istanbul, à Rabat, les fornaci de Caldè en 2020, celles de Caslano, et la tapisserie de ma maison qui aurait pu aussi tomber dans l'urbex.
En automne dernier, j’ai donné de ma personne concernant le sujet après avoir été approchée par un journaliste de la RTS. Celui-ci avait vu des photographies des sanatoriums sur le blog et a émis le désir de m’intégrer dans son reportage en me filmant dans mon atelier. Pas forcément le truc dans lequel je suis à l’aise, même si je n’ai pas une grande expérience en la matière. Mais bon, j’ai pris sur moi, j’ai décoré ma vitrine en circonstance, fait ainsi peur à ma petite voisine, imprimé des prises de vue et prévu un dessin en lien. Le journaliste a à peine jeté un oeil à ma déco, tout comme il n’avait apparemment pas pris le temps de lire mes billets, ni de préparer l’entretien avec moi avant. Sa seule idée fixe était de relier l’urbex à l’art et sa première question, de but en blanc, fut:
- Alors, Karin, qu’est-ce que l’urbex pour vous?
- …
Après avoir bredouillé quelques platitudes, arraché le micro en me relevant intempestivement, avoir eu l’impression que je parlais une autre langue que la mienne, alors que pourtant je ne m’exprimais pas en italien, j’ai vu repartir ce monsieur qui n’avait visiblement jamais entendu parler de compétences transversales. J’ai rongé mon frein et attendu quelques jours avant de lui exprimer par un mail (poli) mon ressenti en lui demandant de lisser mon charabia et de donner plutôt place à l’image. Il a dû se vexer car le travail a été coupé drastiquement au montage. Résultat des courses, ce n'est même pas 4 minutes qu'on me laisse pour la cause mais 36 secondes, chrono en main. Tout ça pour ça, j'ai envie de dire. Aucune des prises de vues qu’il avait effectuées avec un drone, aucune des dix photos qu’il m’avait demandé d’envoyer. Cependant, je dois admettre que le reportage est bien fait et qu’il a semble-t-il réussi à créer un autre contact avec les intervenants. J’ai vraiment un problème, Docteur?
Vous en jugerez par vous-mêmes en visionnant le reportage ici: Urbex, la passion de la ruine.
Donc, voilà. Quelques mois après, je boucle la boucle. S’il m’avait demandé les choses correctement, je lui aurais peut-être parlé de la maison de la Nini. Avec un minimum de préparation et si on ne s’acharne pas à vouloir me faire dire ce que je ne veux pas, je parviens à m’exprimer. J’aurais pu aussi lui préciser que ces lieux visités, même si je les repère et sais la plupart du temps de quoi il s’agit avant, ce n’est qu’après que je peux aller en chercher l’histoire. J’ai besoin de les voir, sinon cela ne me parle pas. Un peu comme je suis incapable de préparer la visite touristique d’une ville avant d’en fouler les rues. Mais ensuite, en toute connaissance de cause, j’ai souvent envie d’y retourner. Tout en dépensant une énergie folle pour en retrouver d’autres. Car oui, c’est un peu une drogue. Dangereuse, comme toutes les drogues. Spécialement lorsque je conduis et que mon oeil maintenant exercé s’égare dans la vallée.
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