L’histoire sombre des asiles de fous italiens a déjà été largement évoquée lors de la visite de l’ancien établissement de Mombello dans la région de Milan. Aujourd’hui, nous sommes dans le Piémont mais le scénario est similaire: une vingtaine de pavillons disséminés sur un parc de 28 hectares, des histoires sordides liées au « traitement » des maladies psychiques et un abandon progressif des lieux survenu dès la fin des années 70 en laissant tout sur place, y compris les documents sensibles. La nature se chargera bien de les avaler.
En fonction dès 1937, la structure, appelée manicomio comme tous les établissements de ce style, comprend une église, un théâtre, une salle de gym, une bibliothèque, un terrain de sport et d’autres édifices beaucoup moins ludiques avec des cellules et des caves. Des souterrains où se passaient des choses pas très nettes. Les infirmières de l’époque témoignent de traitements inhumains, de doses massives d’insuline inoculées aux patients pour les plonger dans un coma d’où on les tirait par électrochocs. Elles parlent de malades qui, entrés dans les murs dans un état considéré comme normal, devenaient peu à peu des légumes. S’il leur restait quelque chose dans le regard, ce n’était que la peur. De plus, étaient-ils vraiment tous malades? Certains n’étaient placés ici que parce qu’ils dérangeaient l’élite en place. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’asile se dote d’une histoire glauque de plus. En 1945, des dizaines de soldats fascistes prisonniers sont amenés par une brigade partisane dans l’enceinte du manicomio, le personnel est évacué et les exécutions se font à l'aide de diverses méthodes qui n’ont rien à envier à celles des psychiatres de l’époque. On jette les soldats par les fenêtres des pavillons. On les barde de fil de fer avant de leur passer dessus avec un camion. On n'a jamais retrouvé tous les corps et les versions du massacre divergent. On peut se demander pourquoi avoir choisi ce lieu si ce n'est pour la facilité avec lequel il peut dissimuler les traces compromettantes. Aujourd'hui, une plaque commémorative que l'on ne trouvera pas veut rappeler la tuerie tout en s'effaçant dans la végétation et la mémoire collective, comme le reste.
L’établissement a fermé en 1978 après l’entrée en vigueur de la loi Basaglia qui exige que seuls les malades jugés dangereux puissent être internés. Certains pavillons ont été directement abandonnés avec mobilier, documents et flacons de fluides corporels. Un scénario courant dans ce pays qui est aussi le mien. Ça me désole.
On ferme!
Alors c’est comme si on tournait la clé du jour au lendemain en laissant armes et bagages. Les occupants s’évanouissent dans de mystérieuses limbes. Les lieux sont aussitôt convoités par les pilleurs et le patrimoine fuite. Des bâtiments s'ouvrent à tous vents. Parfois on tente de les murer mais ça n’arrête personne. Après quelques années on les oublie jusqu’à ne plus savoir, parfois, à qui ils appartiennent. De vaines tentatives de sauvetage ou de restructuration se sont perdues dans un miasme de bureaucratie et de corruption. Les intempéries et les rats finiront le travail.
Je m’égare. Dès 1978, côtoyant une majorité de bâtiments abandonnées et vidés de leurs encombrants pensionnaires, quelques pavillons ont été utilisés comme hôpitaux jusqu’à la construction d’un complexe plus moderne non loin. Le site a été définitivement fermé en 1991. Aujourd’hui, seul un pavillon à l’entrée principale est occupé. Par l’Agence Régionale de la Protection de l’Environnement.
Question biodiversité, nous allons être servis lors de notre approche du site. Ronces, orties, lianes, moustiques, araignées, serpent. Décidément, l'exploration urbaine n'est pas une activité à faire en été. De plus, des murs de 4 mètres, c’est haut et nous allons mettre un moment à trouver la brèche.
Ecrasés par la chaleur, découragés par la végétation et l’ampleur du complexe, nous ne visiterons qu’une petite partie de ces vingt édifices. Nous avons aussi l’impression que d’un bâtiment à l’autre, nous ne découvrirons que des images qui se répètent: pièces saccagées, murs tombant en lambeaux, documents de toutes sortes éparpillés partout, chaises percées qui semblent mises en place pour les photographes. Et cette odeur horrible de moisissures et d’autres trucs indescriptibles. De ceux qui attirent ces nuées de mouches mais je ne cherche pas à en savoir plus. Ni à m’aventurer dans les sous-sols sombres où grouillent certainement des colonies de rongeurs.
Nous verrons toutefois l’église où Dieu est mort depuis longtemps.
Nous ferons quelques pas dans le théâtre dévasté qui semble en plus de cela avoir été incendié il y a des années déjà. À l'étage, on trouvera ce qui reste des loges.
Nous entrerons encore dans le bâtiment des cuisines avec sa serre et sa chapelle.
Je n’ai pas perçu dans les édifices visités l’intérêt architectural du manicomio de Mombello. Cet endroit m’a laissé un sentiment aussi sombre et monochrome que nos photographies. Et l’odeur me poursuivra longtemps.
Subissant une nouvelle attaque de moustiques, nous déclarons forfait. Revenant sur nos pas, nous retrouvons notre brèche et son échelle. De la route, on n’aperçoit du site qu’un château d’eau qui émerge de la brousse. Les hauts murs qui servaient autrefois à contenir les malades dissimulent désormais le désastre.
Sources:
Wikipedia
Et quelques autres, mais toutes divergent.
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