Encore un chemin de croix! Pour nous perdre dans un lieu perché qui n’a désormais plus rien d’un mont sacré.
Sur un tracé de 700 mètres complètement immergé dans la forêt, le cheminement va nous amener à un complexe religieux construit au début des années 50 et relié au village par un petit télécabine. La voie pavée de granit est ponctuée de quatorze stations dont un faible nombre contient encore les céramiques originales. Certaines, vandalisées, ont été remplacées par des versions enfantines et plastifiées. Nous ne croiserons qu’une vieille dame mais la béquille n’est pas à elle, elle a ses deux bâtons.
À la hauteur de la dernière station, on trouve une petite esplanade avec un pressoir, emblème de Gethsémani, dernier lieu de prière de Jésus qui donne son nom à l’endroit où nous sommes. La structure du complexe est énorme et ressemble à un navire posé sur un flanc de la montagne. Le sanctuaire commémorant l’agonie du Christ est bordé par des bâtiments servant à accueillir les fidèles et former des jeunes gens. Le lieu a été fréquenté par des milliers de personnes et a connu un développement massif jusqu’aux années 70, lorsque le peintre suisse Théodore Strawinsky, fils du musicien, a peint 172 m2 de fresques sur les murs extérieurs de l’abside de l’église.
Vous vous en doutez peut-être, la structure a été définitivement fermée dans les années 2000, rattrapée par ses difficultés d’accès et les changements de société. Une fois de plus, on peut s’étonner de constater que tout ce que contenaient les bâtiments ait été laissé sur place. On est un peu moins surpris de découvrir que cela a été immédiatement saccagé. Je n’ai pas aimé ce lieu. J’avais envie d’en partir au plus vite sans pouvoir expliquer réellement ce que je ressentais. J’ai tout trouvé sinistre, l’odeur, la lumière, l’immensité de ces bâtiments, l’ampleur de ce carnage gratuit sous l’oeil de ce Jésus peint gigantesque, mais que personne n’a encore osé gribouiller. D’ailleurs, question art contemporain, ça n’arrive pas à l’Hallux Valgus de cette incroyable fresque, c’est limité aux bites et croix gammées. Beurk, courage, fuyons! "Abandonnez tout espoir, ô vous qui entrez ici, est-il écrit sur un mur. Même si nous aurions certainement pu visiter les étages, voire déambuler sur les toits, nous ne l’avons pas fait.
Continuons cependant la découverte comme si je n’étais pas là. Dans l’aile droite se trouvaient le salon, la bibliothèque, les cuisines et la salle à manger, avec sa chaire. Le dernier étage en bois est une architecture de montagne en vogue jusqu’au début des années 60.
Les chambres et les installations sanitaires communes se situaient dans l’aile opposée. Ce bâtiment se développe en amphithéâtre vers la vallée, avec une conception en escalier qui permet à chaque pièce de disposer d'une petite terrasse. Ici, l'empreinte moderne du bâtiment est plus nette, avec un toit plat couronné par un auvent en béton armé au design futuriste.
À la jonction des deux ailes se trouve le corps de l'église avec sa crypte, apparemment un petit bijou renfermant une véritable richesse de matériaux et d’objets, mosaïques et sculptures. Tous ses accès en sont aujourd’hui murés afin de protéger ce dernier bastion du carnage.
Photo: Mimo Amarelli
Sous le bâtiment, on trouvera encore la station du téléphérique et son unique cabine. Est-ce voulu ou non, la structure pourrait passer pour la proue de ce bateau échoué et on y rejouerait presque une scène de Titanic. Plus bas, on devine un amphithéâtre. Il semble qu’à l’époque, plusieurs avenues menant à des constructions extérieures diverses s’éparpillaient dans le parc. L’une était même flanquée de vestiges étrusques, romains et médiévaux. Dans cette brousse qui n’offre d’ailleurs plus aucune vue dégagée, il aurait fallu bien chercher et nous sommes repartis sur notre chemin de croix avec des sentiments mitigés.
Dans un article du journal régional de 2016, un habitant du village s’insurge devant la passivité de sa commune qui ferme les yeux devant la dégradation du lieu, et devant les actuels propriétaires qui promettent des restructurations mais ne bougent pas. On se contente de mettre des panneaux « Espace vidéo-surveillé ». Quand on voit où se situe l’endroit, c’est vrai que ça fait un peu sourire, d’autant plus que cette affiche est tellement utilisée en Italie que celui qui l’a conçue doit voyager en jet privé. Et tellement galvaudée qu’elle est aussi respectée que les panneaux "travaux-trente à l’heure-vingt-dix" au bord des routes latines. Pour en revenir à notre villageois, il rappelle dans son article que le site contient des richesses artistiques et archéologiques inestimables et désespère comme nous finalement, à notre échelle, de constater comment on traite le patrimoine dans ce pays pour un quart mien.
De retour dans ladite commune, nous passons à côté d'une énorme entreprise désaffectée trônant au centre de la localité et qui devait employer la plupart des habitants de la région. Ce qui peut faire penser qu'ils ont d'autres chats à fouetter que de sauver des sculptures de Jésus et qu'il est loin le temps où l'on pouvait écrire sur les façades: "Le travail est la chose la plus solennelle, la plus noble, la plus religieuse de la vie."
Pour en revenir à nos agneaux, le sanctuaire est considéré par certains comme un musée potentiel d’art sacré moderne. Sur la mosaïque dorée du plafond, il est écrit la prière: «Seigneur, que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui soit faite.»
J'ai l'impression que Dieu, comme les autres, il s'en fout.
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