C’est un ex-preventorio que nous visitons aujourd’hui, ce qui n’a pas d’équivalent en français mais pourrait se traduire par institut préventif. Vous allez comprendre.
Dès le début, son histoire n’en est pas simple et il va véritablement finir en sucette, comme on pourra le constater.
En 1922, un consortium régional antituberculeux achète cette zone de 18 hectares surplombant le lac Majeur et attenante à une ancienne abbaye dans le but de construire un sanatorium pour adultes pouvant accueillir 160 à 180 lits. L'installation est achevée en 1927, mais outre les avis médicaux contradictoires sur l'adéquation climatique du site, elle est jugée inintéressante d'un point de vue économique. Afin de contenir les coûts de fonctionnement élevés, dûs notamment à sa situation excentrée, il aurait fallu rénover le complexe et porter sa capacité d'accueil à au moins 300 lits, ce qui a suscité l'opposition de la population locale. Après le refus de la Caisse nationale d'assurance sociale d'en assumer la charge et la gestion, la province de Milan décide d'acheter le bâtiment au Consortium et d'en changer l'affectation, pour en faire un lieu «d'accueil, d'alimentation et d'assistance temporaire aux enfants pauvres des deux sexes, légitimes et illégitimes, âgés de six mois à neuf ans.» En août 1929 est donc créé l’hôpital préventif pour enfants Umberto di Savoia, institut spécialisé dans la prise en charge des bambins prédisposés à la tuberculose.
Le Preventorio ne devait pas avoir les allures d’un hôpital, mais d’un établissement dans lequel les enfants fragiles trouveraient un environnement joyeux et familial, avec des activités éducatives et récréatives, le plus souvent effectuées en plein-air. On y trouvait des places de jeux, une salle de spectacle et de grandes terrasses pour les bains de soleil en commun.
Peu à peu, la tuberculose a été éradiquée et les établissements du genre ont dû se réinventer. D'ailleurs, pour la plupart, ils ont ensuite coulé. Dès le milieu des années 1960, l'institut Umberto di Savoia a commencé à accueillir des enfants à problèmes avant de devenir officiellement en 1974 un établissement médico-psycho-pédagogique. Dix ans après, la structure était fermée et les lieux définitivement abandonnés.
L’accès au domaine se fait assez facilement en enjambant un muret à côté d’une grille cadenassée. Manque de bol, l'endroit est exactement à la hauteur d’un feu de chantier et il va falloir calculer notre coup afin de ne pas faire le mur devant le nez des automobilistes arrêtés au rouge. Pour autant qu'ils le lèvent de leur téléphone.
Nous sommes à la hauteur de ce qui peut s’apparenter à une maison de gardiens. Une large allée va maintenant serpenter parmi les pins et une végétation éclectique. Au premier virage, une nouvelle maison désertée ne nous inspire pas plus que ça. Une canalisation percée semble traverser tout l’édifice et l’eau s’écoule sous la porte d'entrée. Nous surplombons le lac Majeur qui ne se débarrassera pas aujourd’hui d’un surlignage brumeux.
Le chemin continue à nous amener dans les hauteurs, cela nous parait interminable. Après chaque virage, nous nous attendons à voir quelque chose. Mais rien. Hormis quelques panneaux rouillés et visés par des projectiles. Chouette!
Enfin, le bâtiment principal apparaît dans la jungle alors qu’un autre nous surplombe sur notre droite. Drôles d’impressions. Ce dernier semble tellement nu qu’on dirait qu’il n’a jamais été terminé. Des cabanes de chantier taguées témoignent d'une volonté passée d'avoir peut-être voulu faire quelque chose de cet endroit. L'entrée de l'édifice, privé de toutes ses fenêtres, est barricadée par une pile de matériaux dont les pilleurs n'ont apparemment pas voulu. Passons.
Nous nous rendons auprès du bâtiment principal qui s'étend en L autour de cette curieuse tourelle et d'une construction paraissant plus ancienne. L'abbaye? Je ne parviens pas à trouver d'information précise à propos de ces différents édifices. Sur le moment, je suis très déçue, je ne m’attendais pas à un tel délabrement. Devant l'étendue du désastre et la dangerosité du lieu, nous n'en visiterons qu’une petite partie. De plus, dire que la végétation envahit le site est léger, ce sont carrément des lianes et des ronces qui mangent les constructions et en empêchent l'approche. Nous n’aurons donc aucun panorama sur le lac. Aucune vue possible, sans contre-jour, de cette mystérieuse tour.
Les bâtiments ne sont plus que des carcasses qui semblent avoir subi dans un premier temps une razzia des plus complètes, et ceci j’imagine tant que la route était praticable. Car maintenant, va donc te trimbaler avec une dalle en marbre parmi les palmiers et les ronces. Bon, en même temps, il n'y en plus, de dalle en marbre. Le cadavre a ensuite été profané par plusieurs générations de casseurs. Alors, quel désastre. Rien qui n’inspire, rien qui ne nous parle de l'histoire du lieu, à part peut-être ces restes sinistres d'une salle de culte dévastée où personne n'a osé prendre l'autel. Une buanderie, des passe-plats et des lambeaux de tapisseries.
Même les graffeurs ne semblent pas avoir été inspirés. On retrouve notre ami Snoze du village alpin TCI et DFTR (Don't forget to remember) du sanatorium de Medoscio. Ainsi qu'un petit malin qui s'amuse à nous faire peur.
Tu es ici illégalement! Zigula (?) tu es guéri.
Tu ne peux pas t'en échapper.
Ici vivent les esprits.
Le crucifix à l'étage est affamé.
Homme avec un masque d'esprit errant.
Tu ne peux pas te cach... Et là, il n'a pas pu finir...
Nous, par contre, nous terminons assez rapidement cette visite déprimante et reprenons notre allée dans l'autre sens.
L'actualité la plus récente de l'endroit date de juillet 2022 et de son rachat par une société véronaise avec des sociétaires suisses. Le but étant de créer sur le site de 18 hectares acquis pour 3 millions d'euros un complexe hôtelier de luxe en reprenant ainsi un vieux projet jamais abouti. Dans l'article consulté, tout le monde a l'air très content de voir le mot "suisse" dans l'histoire mais depuis, rien ne semble avoir avancé et la piscine n'est même pas creusée.
Helvètes ou pas, les acquéreurs se retrouvent avec un très beau domaine mais ils peuvent tout raser et recommencer. J'espère simplement qu'ils parviendront à préserver la tourelle. Et qu'ils éviteront de nous construire une verrue de plus sur le lac Majeur.
Pour autant qu'il se passe quelque chose avant que le squelette désossé ne s'affaisse sur son flanc de montagne.
Sources et photographies d'époque:
Il Curiosone
Lombardia Beni Culturali
Lost Encore
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