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Photo du rédacteurKarin

Et au milieu coule une rivière

L’Olona prend sa source non loin du Sacro Monte et serpente ensuite sur 104 kilomètres jusqu’à finir sa course à Milan en se mêlant aux eaux du Naviglio Grande. Il forme en amont les étonnantes grottes de la Valganna.


Jusqu’ici c’est presque féérique, le reste l’est un peu moins.

Tout au long de cette rivière et au cours des siècles, les activités humaines se sont multipliées, diversifiées, amplifiées jusqu’à se casser dramatiquement la gueule pour beaucoup. Si l’on commence à y prêter attention, cette région du nord de l’Italie est un grand champ de ruines avérées ou en devenir. Mais pour paraitre poli, on peut dire qu’il s’agit d’un énorme musée d’archéologie industrielle à ciel plus ou moins ouvert. C’est de toute façon avec un profond respect que je parle de tout cela et que je visite ces endroits, même si sur la route des « abruti de ritzoul » peuvent m’échapper. Je le suis moi-même pour un quart avec une grand-mère piémontaise.

Autrefois, dans cette vallée paisible, on trouvait essentiellement des moulins. Pendant des siècles, ils ont constitué le centre de la vie économique et sociale de la communauté mais au cours du XVIIIe, ils vont subir un premier changement radical avec l’établissement d’usines de traitement de la soie et du coton. Au milieu du XIXe, ces industries de qualité font la fierté de la région mais au début du XXe siècle, lors d’une première période de crise généralisée du secteur, certaines ont fermé, d’autres ont été transformées, en ateliers mécaniques ou en usines à papier entre autres.

Le premier lieu où nous nous rendons est un exemple typique de ce qui s’est passé au cours des siècles. Sur le site de ce qui fut longtemps des moulins, on a construit en1828 une filature de coton. D’ailleurs, celle-ci appartenait à un Suisse venu s’implanter là pour obtenir de la main d’oeuvre moins cher. Évidemment, c’était il y a bientôt deux cents ans; maintenant, plus besoin de se déplacer, la main d’oeuvre bon marché passe elle-même la frontière. A la fin du XIXe, la structure est agrandie et transformée pour devenir une entreprise de mécanique. De nouveaux bâtiments sont construits, certains directement sur la rivière qui est canalisée dans une voie souterraine afin d’acquérir plus d’énergie. On y amène une ligne de train qui s’arrête à ses portes et sera utilisée jusqu’en 1953. La rame désaffectée que l'on aperçoit sur les voies oubliées ne semble pas être d'époque.


L'entreprise a longtemps appartenu aux Ateliers Mécaniques Conti mais c’est pourtant comme ex-SIOME que les gens du coin la connaissent, du nom des derniers gestionnaires qui y ont produit pendant vingt ans de grandes machines pour le traitement du ciment et des matériaux réfractaires. L’entreprise a fait faillite et fermé ses portes en 1992 mais l’activité s’est poursuivie dans l’arrière-cour où des tonnes de déchets divers et illégaux y ont été déposés jusqu’aux années 2000. Le tout est maintenant recouvert par de grosses bâches noires qui cachent un peu la merde au chat en attendant une suite qui ne vient pas. Et ce n’est qu’un moindre mal.


Les structures comportent des matériaux dangereux pour l’environnement et la rivière en particulier, au point que la commune a dû intervenir pour aller effectuer un premier coup de poutze. Au fil des années, de nombreux projets ont été présentés pour réaménager la zone mais rien n’a été fait, notamment à cause de malentendus entre la municipalité et les propriétaires. L’endroit est comme un gros pou dans le paysage et le dossier semble avoir été souvent mis sous le tapis et passé de syndic en syndic un peu comme le vieux sparadrap du capitaine Haddock. Entre-temps, l’assainissement effectué au frais du contribuable n’a pas servi à grand chose. Il reste encore beaucoup de matériel dangereux dans les locaux. Le sol est recouvert d’une épaisse couche de boue, résultat des travaux réalisés à la SIOME. En période de crue, l’Olona qui passe juste dessous entraîne sur son passage les résidus toxiques.


Quelques kilomètres plus au nord, et toujours au bord de cette rivière bucolique qui est en fait un des cours d’eau les plus pollués d’Italie, nous trouvons une ancienne usine de papier. Construite dans les années 60, l’entreprise est devenue énorme, notamment grâce à des fusions et ses bâtiments s’étalent sur près de 6 hectares. L’un des gros patrons a poussé les machines jusqu’à leur point de rupture avant de revendre toutes ses actions lorsque l’entreprise était la plus florissante, laissant les autres dans le cacao. Dès lors, l’affaire ne s’est plus vraiment relevée, elle a été sauvée par les banques pendant une petite dizaine d’années puis mise en liquidation en 1998.



Abandonnés depuis plus de vingt ans, les bâtiments sont toujours pleins d'huiles usées, de lubrifiants, de poudres colorantes, d’acides et de laine de roche s’échappant dans l’environnement. La principale menace est constituée par les 20’000 mètres carrés de fibres d’amiante qui recouvrent les entrepôts en décomposition.


Dès 2008 pourtant, Bricoman et Decathlon se sont intéressés à reprendre la zone dans le but de raser, assainir et reconstruire leurs propres locaux. Mais on peut lire qu’en 2017, les investisseurs ont fini par baisser les bras épuisés par la bureaucratie. Tu m’étonnes, après dix ans de moulinage dans le vent. Le projet a également été assez mal reçu par une partie des habitants de la région qui ne voyaient pas dans le nouveau complexe commercial l’opportunité d’emplois qu’on a voulu leur faire miroiter mais plutôt les nuisances d’un trafic déjà dense sur des axes peut enclins à l’absorber. Une fois de plus, la zone est une propriété privée et les communes n’ont pas les moyens de l’assainir ou de la surveiller. Preuves en sont deux énormes rave party organisée en 2008 et 2010, la première ayant duré une semaine. Est-ce à ce moment-là qu'ils ont organisé un méchoui géant? Oui, c'est glauque. Comme le sont ces immenses entrepôts explosés et ces sous-sols où je ne m'aventurerais pour rien au monde. Ici, on choisit soigneusement les endroits où poser ses pieds. Même certains graffitis s'auto-détruisent avec le reste. Sur une plaque, il est écrit: "La bonne conservation des locaux et des installations sanitaires est soumise au soin et au sens civique de chacun."


En commentaire à l’un des derniers articles que l’on peut lire sur le sujet, datant de fin 2021 et disant en substance que rien ne bouge, un lecteur émet l’idée suivante: « Plutôt que de faire des projets de revalorisation qui ne valorisent rien, l’Etat achète le lieu, démolit tout et plante des arbres. Point. »


Sauf que l’Etat a du taf et un sacré nombre d'arbres à semer. J’ai lu qu’en 2019, on recense 86 sites désaffectés dans la province de Varese pour un total de 2,4 millions de mètres carrés. Des activités qui ont contribué à écrire l’extraordinaire roman industriel de la région mais qui, une fois à la fin de leur cycle, ont laissé autant de cloques dans le paysage. Ces sites représentent 13% des zones désaffectées de l’ensemble de la Lombardie qui en tout compte 20 millions de mètres carrés de ruines en puissance.


Et au milieu pousse un figuier.



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