On voulait commencer par les fées et finir par les tranchées. Et puis, on s’est planté et on a fait le contraire.
Comme souvent lorsqu'on se balade en Italie, ce n’est pas facile de trouver les bonnes cartes et de repérer les panneaux. Après s’être garés aux abords des écoles et de l’église dans les hauts de Germignaga, nous poursuivons à pieds et en montée sur la Via ai Ronchi sans voir d’indications. Alors que je commence sérieusement à douter de notre direction, un autochtone nous rassure: on va atteindre nos étapes, mais pas dans le sens prévu.
Cette grimpette en plein cagnard n’est pas la partie la plus intéressante de la balade mais on n’a rien sans rien. La vue se dégage de plus en plus sur le lac Majeur. Et l'autre bonne nouvelle: au train où l'on va, on a bientôt avalé d’un coup les quelques petits 150 mètres de dénivelé auxquels il faut s'attendre.
Nous continuons à suivre la Via ai Ronchi jusqu’à un sentier qui part à droite dans la forêt. Et il y a même des panneaux, trop dingue. La Canonica, 15 minutes, c’est là qu’on va. On monte encore mais sous les arbres, c’est plus agréable. Un replat et soudain, alors qu'une végétation éclectique parsemée de palmiers laisse place à la prairie, elle apparaît derrière les hautes herbes.
La Collégiale de San Vittore. Cela fait des années qu’elle me fait de l’oeil. On la voit de partout au point que l’on pourrait penser qu'elle domine tout le lac Majeur et offre une vue à 360 degrés. Erreur, du lac on n’en aperçoit qu’un petit bout (mais pas des moindres, côté roche de Caldé), le panorama ne coupe pas le souffle. Par contre, l’édifice est magnifique. Des parties très délabrées contrastent avec d'autres restaurées, le lieu vaut le détour. L’église était ouverte et trois anciens s’y affairaient à disposer des chaises, si bien que je n’ai pas osé me lâcher comme je l'aurais voulu dans les photos de peur de les heurter. Cet intérieur est très beau, relativement sobre et la charpente est splendide.
Plus connue sous le nom de la Canonica, qui peut se traduire par presbytère, l’église a été construite au cours du XIIe siècle, probablement sur des bases remontant à l’époque romaine. Des fragments d’une pierre tombale datant du VIe siècle, maintenant encastrés dans la nef, semblent le suggérer. La structure a connu plusieurs interventions de réfection au cours des siècles selon des logiques discutables. La façade, par exemple, a été reconstruite au XIXe avec l’insertion de parties entières en ciment dans un style néo-roman destiné à l’embellir, car elle était jugée trop dépouillée pour les goûts de l’époque. La restauration du toit date des années 1970 et il en résulte un travail d'artisans manifestement plus avisés. L’église contient d’autres oeuvres religieuses notables ainsi qu'une orgue du XVIIIe. Des concerts de musique liturgique y sont organisés et c’est certainement dans ce but que nos retraités s'emmêlent les pinceaux en comptant les chaises.
Nous revenons brièvement sur nos pas et au croisement que nous avons dépassé tout à l’heure, nous suivons maintenant la direction Linea Cadorna. Afin d’expliquer de quoi il s’agit, je me répète à partir du billet Histoires de guerres dans lequel j’avais déjà évoqué ce sujet.
La Linea Cadorna est une ligne de front construite sous l'impulsion d'un général du même nom entre 1911 et 1916 dans les Préalpes lombardes et piémontaises. J'ai également lu, mais les sources divergent, que les premiers travaux de ces importantes structures avaient déjà commencé à la fin du XIXe. On voulait ainsi défendre le territoire italien d'une hypothétique attaque du front suisse par les troupes austro-hongroises. La structure a été bâtie à des altitudes élevées entre 400 et plus de 2000 mètres. Cependant, cette ligne défensive, qui comprenait des chemins muletiers, des tranchées, des postes d’observation et des hôpitaux de campagne, n’a servi à rien car les combats ont eu lieu ailleurs. C’est ballot. Occupée au début de la guerre, la Linea Cadorna a rapidement été abandonnée par les 15’000 hommes qui s’y tenaient.
Les premiers vestiges que l’on rencontre sont des entrées de galeries creusées dans le calcaire et s'enfonçant dans le ventre de la montagne. Ces cavernes devaient contenir deux immenses canons chargés de défendre l’entrée dans le pays par le Val Vedasca. Comme pour contraster à l'aspect un peu sinistre de l'endroit, des sculptures sur bois s'égrènent çà et là et un parcours Vita avec d'étranges engins de torture orange se mélange encore au tout.
A partir de cet endroit, il ne faut pas hésiter à suivre les pancartes indiquant les différents sites. Ils sont tous dans un périmètre proche et se rejoignent. Nous commençons par voir les tranchées et j’en suis impressionnée. Malheureusement les photos ne rendent pas la complexité de cet ouvrage intégré à la montagne. Creusées elles aussi dans la roche, elles devaient permettre aux soldats de défendre l'infrastructure des cavernes d'éventuelles attaques côté nord et étaient équipées d'un étage pour ranger les munitions et d'un autre pour les sacs à dos.
Une brève grimpette nous mène à l'observatoire dont la structure, complètement enfouie, permettait de repérer l'ennemi arrivant de tous côtés du lac. Un puits de 20 mètres le relie aux cavernes inférieures.
On descend de l'observatoire par des escaliers eux aussi taillés dans la roche et se terminant en tranchées pour reprendre notre chemin sur le sentier principal et voir encore une autre galerie et le poste de la mitrailleuse. Tout deux, contrairement aux autres vestiges, sont ouverts à l'exploration. Mais bon, j’ai pas trop envie. Surtout depuis que j’ai lu qu'une araignée sinistre mais inoffensive - bien que vénéneuse, sic! - habite dans l'ombre de ces cavernes et y pond ses oeufs dans des cocons tout ronds. Mademoiselle Meta Menardi a été élue araignée de l'année en 2012, c'est chou, mais sans moi. Je me contenterai de vous en décrire l'intérieur d'après mes lectures. Depuis cette large entrée accessible, un ensemble de tunnels en arc de cercle se ramifie sur 150 mètres en pente légère et régulière pour assurer l'écoulement de l'eau. On y trouve un grand abri pour le matériel et les hommes, des ouvertures de secours menant aux tranchées, des réservoirs pour les charges de lancement et les obus, tandis qu'une petite niche donne accès au puits vertical et ses échelons en acier conduisant à l'observatoire. L'extrémité des deux branches principales s'ouvre sur les grandes chambres ovales de 5 mètres de hauteur destinées aux canons, pesant chacun 7 tonnes et demie.
Les fortifications de Brezzo di Bedero, après un siècle d'abandon, ont été restaurées et ouvertes aux visiteurs. On trouve dans la démarche une volonté de témoignage historique, sans oublier de mentionner le sacrifice des dizaines d'hommes, femmes et enfants de la région qui ont dû travailler dans cet énorme chantier sept jours sur sept, dans des situations dangereuses ou des conditions météorologiques défavorables. Un grand nombre y ont laissé leur vie.
Une fois le poste de garde dépassé, la forêt s’ouvre sur le lac et une incroyable vue sur la roche de Caldé. Nous descendons en direction du Belvedere Pasqué où nous demandons notre chemin à une dame. À la mention « bois des fées » elle rigole.
- Des fées, il ne doit plus y en avoir beaucoup! Mais peut-être que vous trouverez des sorcières.
Voilà.
On va voir.
Il suffit donc de traverser en ligne droite le village de Bedero. Joli, d’ailleurs. Pas très vivant, mais pas aussi délabré que certains autres bleds de la région; beaucoup de maisons sont refaites avec goût.
A la sortie du village, on tombe enfin sur le sentier 214A que l’on cherchait depuis le début. Direction Germignaga. Sitôt dans la forêt, on a pénétré dans un autre monde. Il n’y aura pas de fées pendant un moment. Ni de sorcières, d’ailleurs. Par contre, tout ici n'est que verdure, calme et sérénité. Longeant un torrent sur le déclin qui crachote de pauvres filets d'eau, nous ne croiserons personne. A quelques centaines de mètres de la civilisation et du lac, nous avons l’impression d’être en pleine brousse. La moiteur tropicale qui nous enveloppe en rajoute une couche et l'on se demande si l'on n'aurait pas dû prendre une machette. Mais soudain, changement abrupt de décor alors que la jungle laisse place à des résineux, c’est le Bosco delle Fate.
Tadadam!
Certaines sculptures font un peu peine à voir. Dans un premier temps, je suis déçue. J’avais compris que les « fées » allaient nous accompagner tout au long du sentier. Elles sont en fait concentrées ici, avec des panneaux didactiques vieillissants et le banc le plus long du Valtravaglia. L'endroit est certes désuet mais ne manque pas de charme sous la mousse. Et n'oublions pas qu'il s'agit d'une promenade conçue pour les enfants, dans le but de les attirer en forêt par le biais des créatures magiques qui le peuplent.
En continuant à suivre la rivière, c'est une histoire de quelques mètres maintenant pour rejoindre le monde des vivants, des sorcières et des bâtiments au goût discutable. Le sentier débouche sur un pont et la route principale que nous longeons pour retrouver notre voiture.
Tout bien considéré, j'ai préféré passer des tranchées aux fées et si c'était à refaire, je choisirais à nouveau ce sens-là.
Après les références, vous trouverez un petit mémento pour ceux qui voudraient effectuer la promenade.
Sources:
- les panneaux didactiques situés sur la Linea Cadorna
Kilomètres parcourus: environ 6
Dénivellation: 140 m
Durée: 2h30 en prenant le temps
Parking: Scuole Medie, Via ai Ronchi 3, Germignaga
- Monter sur Via ai Ronchi
- Suivre le sentier dans la forêt: La Canonica- Linea Cadorna- Brezzo di Bedero
- Aller à la Canonica puis revenir un peu un arrière pour suivre: Linea Cadorna- Brezzo di Bedero
- Après la Linea Cadorna, suivre : Belvedere Pasqué
- Traverser le village de Bedero en ligne droite, redescendre dans la forêt en suivant: Germignaga
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