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Photo du rédacteurKarin

Conceria Fraschini

Je ne l’appellerai pas l’ex-tannerie F. afin de lui garder un anonymat tout relatif, au vu des indices disséminés dans les photos et les sources citées.


Depuis 1802, la famille Fraschini exploitait un moulin le long du ruisseau Boesio. Dans la première moitié du XIXe siècle, la transformation du cuir a été entreprise et en 1925 la société Conceria Fraschini a été fondée. Elle s’est rapidement développée et a été gérée par plusieurs générations de F.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’usine a produit du matériel militaire pour la marine royale italienne. Surmontant la crise de l’après-guerre, l’entreprise a pu augmenter son capital et ouvrir des entrepôts à Milan, Turin, Naples et Florence, entre autres. Les belles années de la tannerie ont duré jusque dans les années 60-70 lorsqu'elle emploie quelques 300 personnes de la région. Dans les années 80, toujours présidée par des Fraschini, l’entreprise commence à péricliter et à vendre ses succursales.

En 1999, la société se lance dans la vente au détail de vêtements et d’accessoires en cuir tanné à l’unité mais malgré les efforts, elle est mise en liquidation en avril 2000. En juillet de la même année, l’état de liquidation est levé mais il ne restait que 37 employés et la production n’a jamais repris.

Il semble que les survivants aient laissé les lieux tels quels du jour au lendemain et que la secrétaire ne soit pas partie avec les fiches de paie. Et puis, les ordis ont vite été dépassés, à part pour jouer à Pac-Man, et n’ont intéressé personne.



Dès lors, j’ai un grand trou temporel dans mes pauvres sources, j’en ai déduit que les Fraschini avait vendu leur débâcle au plus offrant, illuminé d’un quelconque projet qui n’a jamais abouti mais c’est un peu un pléonasme dans ce nord de l’Italie, en ce qui concerne les zones désaffectées. Pour le reste, je ne me prononcerai pas.

En 2009, cependant, poussée par des plaintes répétées d’habitants du village voisin au sujet de la dangerosité de la zone, l’administration réagit après 3 ans d’inaction et la Guardia di Finanza a mis la tannerie sous séquestre et inculpé huit propriétaires et administrateurs pour catastrophe environnementale. En effet, une analyse des sols a révélé la présence de chrome, utilisé pour le traitement du cuir, avec des valeurs de 78’000 mg/kg contre 150 mg/kg autorisés… Il semblerait aussi que certains aient sciemment ouvert des vannes directement dans la rivière parce que c’était plus simple, ma foi. Malgré ces résultats, tous les accusés ont été acquittés en 2017, au mépris des habitants qui utilisent l’eau de la nappe phréatique et sont aussi sujets aux débordements du Boesio. Sans compter tout ce que la rivière continue à charrier depuis des années, en direction du lac Majeur et de plusieurs communes du Varesotto.



En 2018, la région Lombardie a alloué 50 millions d’euros pour l’assainissement des zones contaminées mais en 2019, il s’est avéré que cette somme ne servirait qu’à couvrir les études préparatoires, tandis qu’un financement supplémentaire serait nécessaire pour l’assainissement en lui-même. En plus du chrome, on peut aussi compter sur de l’amiante, du mercure et autres hydrocarbures lourds. On parle, et depuis des années, d’un véritable danger de santé publique. À cette époque-là, les représentants municipaux réitéraient la difficulté d’intervenir sur le site car suite à la procédure de faillite, on ne savait pas très bien à qui quelle zone avait été attribuée (sic!) Et le maire, un peu dépité, craignait qu’une fois le nettoyage terminé aux frais des contribuables, les anciens propriétaires récupèrent l’ensemble du complexe. Hein? Mais où on est là? Ah oui, en Italie.

Il ne fallait pas qu’il s’en fasse, le maire. Depuis 2019, rien ne semble avoir bougé, plus aucun article dans la presse. J’avais cru lire il y a quelques temps que des travaux reprenaient. J’avoue, comme dit ma fille, nous y étions passés l’automne dernier et avions renoncé à notre visite en voyant des camions à l’entrée. Mais alors qu’aujourd’hui nous pénétrons sans peine sur les lieux, nous remarquons assez vite que s’il y a eu des interventions de nettoyage, elles ne sautent pas aux yeux. Les bâtiments sont enfouis sous la végétation et difficilement accessibles. Des 15’000 mètres carrés de constructions au sol, nous ne visiterons qu’une partie. Des 40’000 mètres carrés de surface complète du site, nous n’aurons aucun recul.


De ce fleuron d’archéologie industrielle, il en ressort plus de pathétique que d'esthétique. Le lieu est aussi lourd que doive l'être le contenu des multiples tonneaux. On y perçoit encore, 23 ans après, les gestes d’une activité interrompue et des vestiges étranges, comme ces sortes de chevaux d’arçons servant à empiler les peaux, ces machines aux formes humaines et ces brochures d’échantillons en relativement bon état. Je ne tiens pas à m’aventurer plus que cela près de ce qui semble être de vieilles cuves en bois, les salles sont immenses. Dans cette partie-là du bâtiment, il règne une humidité chargée et une pénombre sinistre dont je préfère m’éloigner au plus vite. D’autant qu’entre les bruits de la rivière et les oiseaux qui semblent avoir élu domicile dans les toits éventrés, j’aurai plus d’une fois l’impression que nous ne sommes pas seuls sur les lieux.

Et de fait, l'endroit a été maintes fois investi. On y a fait des raves. Des sans-abris l’ont occupé. Un incendie s’y est déclaré en 2011. En 2017, les carabiniers ont arrêté deux hommes qui se disaient artisans et chargeaient des quintaux de ferraille pris sur le lieu. Et puis, tant qu’à faire, du moment que le site était déjà pollué, certains sont venus y rajouter des déchets.



Je garde de cette visite la vision d’une Sainte-Vierge qui n’a rien pu faire face à la débâcle et ces chariots au manche en forme de croix, encore chargés de peaux maintenant presque fossilisées, comme autant de tombes pour signer le désastre économique et écologique de la région.


Sources:

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