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Photo du rédacteurKarin

Archéologie industrielle

Le long de la rivière Olona est un cimetière à ciel ouvert d’usines désaffectées. Ces rives entre Varese et Milan ont été investies il y a des siècles déjà pour y construire des moulins et y développer l’industrie. Aux temps glorieux de l’économie lombarde, on ne comptait plus les fabriques de coton, de chaussures, de poudre, les filatures, les tanneries… La rivière était intéressante pour son apport d’eau, voire pour se débarrasser des déchets en toute discrétion. Les problèmes écologiques que posent certains de ces lieux, abandonnés maintenant depuis des décennies, ont déjà été abordés dans le billet « Et au milieu coule une rivière »


Le site que nous visons aujourd’hui est immense et ne fait pas exception à la règle. Il s’agit d’une importante fabrique de papier fermée depuis 1977. Elle comprenait 21 édifices et s’étendait sur des dizaines d'hectares. Elle est tellement connue dans la région que je ne vais pas m’échiner à lui inventer un petit nom. Par contre, je ne vous dirai pas par où nous sommes rentrés. 😉

Les origines de cette entreprise remontent à la fin du XIXe déjà mais elle a commencé à prendre de l’ampleur au début des années 1900, lorsque le fils Vita épousa Sally Mayer, membre d’une importante famille d’industriels turinois (et juifs, c’est important pour la suite). La fabrique prit alors son nom fameux et définitif de Vita-Mayer.

Dès 1904, avec la mise en service de la ligne de chemin de fer de la Valmorea qui reliait l'Italie à la Suisse, de Castellanza à Mendrisio, l’entreprise n’a cessé de se développer. Elle s’agrandit en dépit d’importantes crues de l’Olona qui submergèrent plusieurs fois une partie des bâtiments. Entre les années 20 et 30, de grandes constructions furent entreprises ainsi que celle de l’école professionnelle voisine. En 1938, la famille Mayer fut contrainte de se réfugier en Suisse au vu des nouvelles lois raciales et l’usine passa aux mains du gouvernement. Ayant retrouvé leurs billes en 1945, les Mayer lancent un plan de rénovation grandiose et la fabrique se dote d’une centrale électrique avec cheminée en béton. Elle s’agrandit encore, rachète d’autres entreprises. Dans les années fastes entre 1950 et 1960, on compte 3250 employés sur les deux sites principaux. La production est de 80’000 tonnes de papier par an, les trains chargent et déchargent du matériel 6 fois par jour. La crise due à la concurrence des pays de l’Est et à la pénurie de bois commence en 1971. Les accords avec le gouvernement pour sauver l’entreprise sont un échec. Le chemin de fer, qui n’était plus rentable, fait sa dernière course en 1976. Deux violentes inondations cette année-là donnent le coup de grâce à l’entreprise qui ferme définitivement en août 1977.



Pendant des décennies, le site s’est lentement enfoncé dans la brousse tout comme les nombreux projets de récupération. Il s’est fait oublier jusqu’en 2015, le jour où un jeune de la région, dix-huit ans, est mort en tombant dans un trou. Il était venu y jouer avec des copains. Et des cocktails molotov. À la suite de cet accident, l’ancienne papeterie a été saisie par le ministère public qui a imposé l’installation d’une clôture spéciale (wouarf!) Des opérations de réaménagement partiel ont débuté en 2017: on a démoli certains bâtiments et fait un premier nettoyage de la zone. Je ne sais pas à quelle heure est prévu le deuxième. Aux dernières nouvelles de ce printemps, une société voudrait implanter dans la friche une sorte de Hydrogen Valley produisant de l’hydrogène vert, un projet salué par tout le monde et qui a déjà débloqué des fonds. Mais là aussi, on peut se questionner sur le fait que rien ne semble frémir dans la brousse, à part les animaux plus ou moins agréables que notre incursion fait fuir.

Je n’étais pas au courant de ces éléments avant notre visite mais une fois sur place, je n’ai pas eu que des bonnes ondes. En principe, dans ce genre de ruines, je n’aime ni monter, ni descendre et nous ne l’avons pas fait. J’ai trouvé certaines carcasses inquiétantes. Je n’ai pas aimé ces énormes cheminées en béton aux bouches béantes. Dans un hangar immense, l’Olona a laissé les traces de ses reconquêtes en sillons boueux et réguliers.


Par contre, j’ai été attirée par la beauté et les couleurs tranchantes de certains graffitis.




Nous repassons du bon côté du mur pour continuer au sud, le long de la rivière et de l’ancienne ligne de chemin de fer. Une piste cyclable a été réalisée sur le tracé et elle semble plutôt fréquentée, par des cyclistes, des joggeurs et des cueilleurs de menthe sauvage. C’est aussi un tronçon de la Via Francisca, ancienne voie romaine qui relie Constance à Pavie. Par contre, créé il y a quelques années pour mettre en valeur l’archéologie industrielle, le sentier didactique a plongé à son tour dans l’archéologie.



Le long de ces voies de chemin de fer recouvertes de végétation, nous découvrirons les ruines en devenir de l’ancienne école professionnelle ViMa qui formaient les collaborateurs qui ont tous dû aller bosser au Tessin. Un peu plus loin, après avoir dépassé une nouvelle usine en lambeaux, nous franchirons le vieux pont sur l’Olona qui n’a rien à voir avec le nouveau, pour aviser encore une ancienne savonnerie en souffrance à l’arrière-plan, un moulin désaffecté depuis longtemps, et d’autres fabriques aux cheminées de briques et à la clé sous la porte.



Chemin faisant, nous avons changé de localité et sommes arrivés dans le Parco del Medio Olona et le lieu dit Calipolis, géré par des bénévoles actifs dans la culture et l’environnement. Le parc s’articule sur des bassins d’épuration désaffectés, au bord de l’Olona, toujours elle, et de l’ancienne fabrique de coton Candiani dont les édifices ont par contre été conservés malgré sa fermeture et restent utilisés.



Le parc est agréable, des activités et des pièces de théâtre y sont proposées les week-ends et on peut y voir plusieurs installations originales et étonnamment respectées, comme une importante bibliothèque en self-service sous un joli pavillon.

Il valait peut-être mieux finir cette escapade par cet exemple plutôt réussi de réhabilitation. Les promeneurs, principalement des autochtones, ne semblent plus faire attention aux ruines qui les entourent. Reprenant notre véhicule, on trouve en s'éloignant de la rivière une deuxième couche d'une ère industrielle décadente de construction années 60 et quelques villages aux volets clos et aux devantures poussiéreuses. Un peu plus loin, des usines de notre siècle qui tournent encore pour certaines, comme quoi on ne perd pas espoir, on continue à saturer le territoire et on laissera quelque chose à explorer pour nos enfants.


Sources et deux photographies d'époques:



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