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Photo du rédacteurKarin

La Perle, la Coquille et la Provence


J’avais pourtant bien vérifié. J’avais le chargeur du téléphone, celui de ma cigarette électronique, celui de mon ordinateur portable, celui de la brosse à dents et celui de la liseuse. Mais sur la route, je me suis aperçue que je ne l’avais pas prise, la liseuse. Les câbles et l’appareillage, c’est maintenant ce qu’il y a de plus compliqué à gérer lorsqu’on prépare ses valises.

Alors Michèle m’a prêté des vrais livres avec des vraies pages qu’il faut tourner. Ce qui est assez agaçant dans le mistral. De plus, avec ces engins-là, il me faut des lunettes. Et le soir, je dois allumer la lampe dans la chambre. Et y attirer tous les moustiques du bled.

Ce livre-objet s’est retrouvé au premier plan de quelques interprétations du moment, de la carte postale WhatsApp à la Photo du Mois. Il s’est prêté comme figurant de mes prises de vue même s’il n’en a pas trop eu le choix.

Le rappel de vacances passées peuvent se résumer en plusieurs instantanés et à la vague réminiscence d’y avoir lu tel ou tel ouvrage. Si les souvenirs qu’il me reste de ce séjour en Provence pouvaient à l’inverse s’articuler autour d’un livre, ce serait autour de cette histoire-là.

Lire La Perle et la Coquille de Nadia Hashimi dans une chaise longue au bord de la piscine, cela peut être déjà une image forte lorsqu’on sait que ce roman parle du statut des femmes en Afghanistan.

Je pose l’ouvrage sur le meuble de la cuisine, dans cette maison où mon oncle règne sur son harem, comme il le dit lui-même. Un soir, il s’est retrouvé entouré de six femmes. On le laisse croire qu'il régente la bande ; les rassemblements, il a toujours aimé ça. En parallèle, et dans d'autres harems beaucoup moins festifs, je suis les destins croisés de Shekiba la mutilée, en 1911, et Rahima la fillette de septembre 2001, pour constater qu’en un petit siècle rien n’a changé pour ces femmes rassemblées autour du même mari sans aucun droit à la parole et comme autant d’esclaves.

Se retrouver là-bas, au pied du Luberon, c’est se laisser emporter par le bruissement des cigales, se sentir indolent sous la chaleur mais garder le verbe malin. C’est manger du beurre demi-sel sur un bout de baguette tranchée à la force du poignet, c’est n’avoir guère plus de fatiguant à effectuer au long de la journée que de tâter l’eau de la piscine en y plongeant le gros orteil et de rigoler un coup devant un verre de rosé. Il est très difficile, en décrivant un séjour provençal, de ne pas entrer dans les clichés ! Peter Mayle y avait quand même passé une année, lui.

Là-bas, dans la campagne afghane, ça laboure, ça récolte, ça cuisine, ça nettoie, ça fait des enfants et ça prend des coups.

Tranche de vie :

- Pierre-Alain (moi je lui dis P.A. mais vous n'auriez pas compris) tu sais si vous avez une passoire ?

- Une quoi ?

- Une passoire. Un truc pour égoutter les pâtes quand elles sont prêtes. Et là, elles sont prêtes. Une passoire. Vite !

- Pour égoutter les pâtes ? Euh... Demande à Michèle.

Je ne voulais pas aller la déranger sous la tonnelle où elle dévore un Fred Vargas.

- Michèle, vous dites bien une passoire, en France ?

- Oui, aussi.

- Parce que P.A. ne savait pas ce que c'était. J'ai dû lui expliquer qu'on pouvait égoutter des pâtes avec.

- Ah oui, mais chouchou, quand il a l'impression d'avoir fait des pâtes, c'est juste qu'il a fait cuire l'eau. Et à chaque fois, il me demande s'il doit mettre du sel.

- Il ne sait donc pas où se trouve la passoire.

- Ah ben non ! Tu sais, je l'ai envoyé chez U acheter des courgettes, il est revenu avec deux concombres.

Ci-dessus, vous avez le bonjour d'Anatole.


Un matin, je bois mon café sur la terrasse. Il est tôt et personne ne bouge. Les hirondelles tournoient au-dessus des mûriers, un petit nuage rose s’écarte doucement et les tourterelles viennent boire l’eau de la piscine en snobant leur fontaine. Alors je tombe sur ce poème afghan :

Imprégnés des essences, nous jouions dans les champs

Épris

D’indigo, de turquoise, de safran

Il y avait du brouillard dans l’espace

Qui me séparait d’eux

Les couleurs montent au ciel, touchent Dieu

J’envie l’arc, qui s’étire, large et puissant

Tandis que se mêlent les pigments

Les couleurs font la révérence pour accueillir un frère

Nous, humbles serviteurs, passons timidement dessous

L’arc de Rostam change la fille en garçon, fait de l’un son contraire

Puis l’air devient sec et se lasse du leurre

Et la brume ouvrant les bras reprend les couleurs.


Une légende dit que la fille qui passera sous un arc-en-ciel deviendra un garçon. Et pour une fille, en Afghanistan, se transformer en mâle, ne serait-ce que quelques mois, permet une toute autre perception de ce petit monde et une pause dans une vie tourmentée. D’une main un peu moite, je continue mes dessins mais à l’allure des gens d’ici. Avec des circonvolutions. Ces lignes m’ont atteintes au point où je les ai retranscrites dans mon petit carnet. Est-ce la métaphore de toute cette lourde histoire qu’elles annoncent dès les premières pages ? Est-ce le rythme des couleurs perçues par le petit peintre qui est en moi ? C’est ce jour-là que nous partons à Roussillon.

- C’est la queue du Mistral, annonce Michèle en scrutant l’air. Il est en train de se calmer.

Deux heures après, ma serviette de bain s’est envolée de l’autre côté du jardin.

- ll l'a vachement longue, sa queue, le Mistral !

Puis j’ai laissé deux jours mes compagnes d'Asie centrale provisoirement en panne sur une table de chevet afin de me rendre à Marseille avec la gazelle. Le grand Helvète a absolument voulu nous amener au pied de l’immeuble où nous avions réservé notre studio sur une plate-forme du web qui fait pâlir le Carlton. Mais le tonton n’avait pas forcément réalisé l’aventure que pouvait représenter une arrivée en voiture au Panier, le quartier le plus vieux et le plus alternatif de Marseille, ceci en étant déjà légèrement échaudé après s’être collé les bouchons autour d’Aix et du périphérique de la cité phocéenne.

Définition : Marseille est également nommée cité phocéenne car les Grecs qui fondèrent la ville en 600 avant J.C. provenaient de Phocée, en Asie mineure. J’ai appris tout cela dans le petit train qui nous menait à Notre-Dame, en compagnie d’une bande de boulistes du troisième âge déjà passablement imbibés au pastis et d’une troupe de Japonais en iPad. C’est pratique, la culture, cela évite la redondance.

Reprenons le fil de l’histoire. Mon tonton s’enfile donc dans la rue du Panier, et constate sur le tard qu’elle est à sens unique et qu’elle se termine en son bout avec une borne. Il pourrait éventuellement s’échapper par la ruelle de gauche mais celle-ci est encombrée d’une camionnette qui empêche le virage. Même après que j’en aie refermé les portières arrières.

- Moi, je vous dis tout de suite que je vais pas bouger, je déménage. La camionnette va rester là toute la journée, on va pas la déplacer d'un cul, nous informe le sosie de Moustaki qui porte un matelas miteux avec le sosie de Brassens.

- Mais c'est quand même pas possible, nom de dieu, et moi je fais quoi, maintenant ?! dit le tonton qui s'échauffe vite. Faudrait voir pour...

- Mon brave monsieur, vous êtes dans le Panier, le coupe le plus chevelu avec l'air de lui annoncer une évidence.

Sur le mur à côté, je lis un tag :


Les deux Georges sont en train de sortir le matelas de la camionnette pour le remplacer par une grande plaque de verre emballée de couvertures militaires à l’aspect un peu douteux. La borne en bout de rue est escamotable et notre chauffeur part à gauche comme l’indique son GPS. A la terrasse du Bar des 13 Coins, toute une tablée réagit.

- Non, non, non ! Vous pouvez pas prendre cette rue, elle est à sens unique.

L’oncle s’énerve, je tente de le faire manoeuvrer, ce qui n’est pas chose facile, entre la borne qui entre temps s’est relevée et ne réagit pas à la marche arrière et les potelets sur le trottoir, qui dans ce quartier bohème sont enveloppés de patchwork au crochet.

Tonton finit par s’extirper du panier de crabes en prenant le sens unique de guerre lasse. L’air de rien, nous nous attablons aux 13 Coins.

- Un café et un thé froid, s'il vous plaît.

- Un quoi ?

Mince, c'est vrai, on est en France.

- Un Ice Tea.

Sous le platane, le chien du café bouffe un journal. Trois Maghrébines sirotent un lait chaud à côté de nous et exhibent leurs trois paires de tongs identiques, si ce n’est par la couleur. Une rose, une verte, une bleue. Un dernier coup de Mistral (la queue est arrivée un peu plus tard à Marseille) et le parasol leur tombe sur la tête. Le serveur s'agite pour venir les sauver sous les regards goguenards des piliers de la table du fond qui se rallument une Gauloise sans filtre. Notre logeur a un peu de retard, il a été coincé à la rue du Panier derrière une camionnette qui a bloqué le passage pendant une demi-heure. Sitôt arrivé, il plante son utilitaire au milieu de la ruelle en assurant le type qui poireaute derrière qu’il en a pour une minute. Cela lui prendra pourtant un bon quart d’heure. Le temps de nous ouvrir son studio, de nous brancher le wi-fi et de nous emmener dans un autre immeuble pour nous montrer sa terrasse sur les toits de Marseille.

- C'est pas à moi, mais j'ai la clé. Et personne d'autre ne l'a. Il est pas magnifique, cet endroit ? Il y a juste ce bâtiment, là, qui nous bouche la vue sur la mer mais j'ai fait une demande pour le faire raser, nous annonce-t-il très sérieusement en nous désignant la Cathédrale de la Majeure.

La terrasse « avec une vue à 360° et quelques chaises » de notre hôte, studio compris, c’est du pittoresque tout comme ce quartier où le peintre s’arroge les murs de la ruelle qui arrive à son atelier pour y suspendre ses toiles, où l’on fait pousser des plantes vertes en bordures de trottoirs dans des contenants de récup et où le graffiti côtoie avec l’histoire. Il faut savoir que cet endroit typique, longtemps considéré comme un coupe-gorge, a retrouvé quelques lettres de noblesse notamment avec la série "Plus belle la vie" qui est censée se dérouler dans ses rues.

Pour ceux qui souhaitent continuer à se gaver de culture, lire ceci : http://www.marseilletourisme.fr/les-incontournables/panier/

Lorsque nous rentrons dans notre studio d’un jour, nous constatons que notre logeur a soigné les détails : il a mis la couette avec un attrape-rêve, il a allumé le néon à la tête de lit et dans le salon, un ventilateur ronronne doucement pour que l’on puisse admirer calmement le faux encadrement du disque d’or de Bob Marley. Apparemment, il est plus porté sur la largeur de l’écran plat et la marque de sa platine que sur l’appareillage de sa mini-cuisine. Mais cela conviendra, étant donné que je n’ai nullement l’intention de cuisiner. Par contre « one love, one heart... » ce n’est pas vraiment sous nos fenêtres. Des jeunes du quartier, des K-sauces, comme les appelle la gazelle, se sont appropriés le trottoir qui longe notre logement de plein pied. Vous le croirez ou non, mais le langage du jeune de Marseille est exactement le même que celui de la banlieue de Lausanne. A part, peut-être « Ta bite est aussi grande qu’une merguez ». Sinon, je m’en bas les couilles, va te faire enculer et suce ma queue, on le dit pareil. Je me demande pourquoi un jour quelqu’un s’est échiné à inventer l’espéranto. Le problème, c’est que de retour à nos pénates vers 22 heures, nos amis ne sont toujours pas retournés chez maman pour voir si elle était vraiment une connasse. Alors, on se les est collés jusqu’à une heure du matin, toutes fenêtres fermées mais en ayant l’impression qu’ils rappaient dans le salon. C’est dommage, car sinon, le Panier, c’est un quartier tranquille. Avec toutes les bornes escamotables, il n’y a pas tant de ça de circulation.

A part cela, à Marseille, en deux jours, nous avons fait les grands standards : le Mucem sans les expo, parce qu’on n'en comprenait pas forcément le titre et que seule, peut-être j’aurais pris le risque, mais pas avec une gazelle de 16 ans. Le fort Saint-Jean et son chemin de ronde, le vieux port, le petit train à Notre-Dame, avec les boulistes et les Japonais, la grande roue, le shopping autour de la Canebière et la visite des Calanques en bateau.

La dernière Calanque que notre tour nous fait visiter est le lieu de rassemblement des universitaires de la région. Alors, forcément, un bateau bourré jusqu’au coup de touristes qui leur font des coucous, les regardent et les photographient comme des singes dans un zoo, ça les excite un peu. Ils nous crient quelques noms d’oiseaux que je ne parviens pas à identifier, mais il est très possible que notre bite ne soit pas plus grosse qu’une merguez à nous non plus. Mes copains de croisière n’ont rien capté et continuent à faire coucou. Et sur un promontoire, il y a le sosie de Jésus en caleçon rose. Voyant notre estafette passer sous son rocher, il nous fait de grands signes, à nous aussi. Puis baisse son caleçon pour nous prouver que ses longs cheveux blonds ne sont pas dus à une décoloration. Tout son appareillage à l’air libre, il agite ses bras en signe de victoire, son caleçon rose sur les genoux, sous les hourras de ses potes. Quelques rombières n’ont toujours rien capté parce qu’elles n’ont pas mis leurs lunettes et continuent de faire coucou de leurs ongles manucurés.

Tonton ne viendra pas nous rechercher au coeur du Panier, cette fois-ci, mais à la gare d’Aix. Et lorsque nous lui demandons si son aller et retour de la veille n’a pas été trop éprouvant, il nous répond :

- Pas du tout, mais en rentrant, à cause du connard de voisin qui ne coupe pas les branches de ses arbres, j'ai pas pu prendre le bon angle avec ma voiture et je me suis fait le portail. Quel abruti, machin, je vais lui coller un procès.

- Et tu as roulé sur ses lavandes ? demande Michèle, guillerette.

- Non ?

- Et bien moi, j'ai roulé sur ses lavandes.

Puis elle nous tourne le dos, esquisse un petit pas de deux et remonte son caleçon. Et hop ! 75 ans.

Sur la table de chevet, j'ai retrouvé Shekiba et Rahima, qui essayaient leur vie de garçons sous les pseudonymes de Shekib et Rahim. Dans le jardin, j'ai retrouvé la pie Hortense, à moins que ce ne soit Maurice, mais comme dit Michèle, on ne la connait pas encore suffisamment pour lui soulever la queue. Hortense règne en maître sur le domaine et se prend à attaquer le faux héron en fer forgé. Un coup de bec, ça fait « klang! » et nous hurlons de rire. L’autre s’éloigne un peu honteuse. Qu’un maigre chat noir s’aventure sur son territoire, elle le chasse à grands cris et en trottinant outrée derrière lui. Il ne fait pas le malin, le félin.

Le tout est pris dans une scène de lapidation qui me laisse coite. Juste de quoi en avoir une image et la dessiner. Juste de quoi en faire un cauchemar cette nuit en compagnie de mon moustique. Les K-sauces du Panier nous narguent, ma gazelle et moi, depuis le haut d’une Calanque en brandissant des cailloux gros comme leur poing.

Heureusement, l’apéro chez ma cousine me fera penser à autre chose. Sitôt sorties de la voiture, nous nous trouvons assaillies par un roquet ras-les-pâquerettes aux yeux globuleux et aux oreilles de renard qui nous charge en glapissant. Prestement suivi par ma cousine qui agite un brumisateur sur le Gremlins pour qu’il se calme. Ceci fait, Anne-Cécile se tourne vers nous.

- Bienvenue chez les tarés !

Le Gremlins s’appelle Jaraude.

Tranches de vie de Jaraude :

- C'est un nom con, mais il est con, aussi, ce chien.

- Une fois, il s'est coincé un os dans le gosier et il a vomi du sang. Mais comme il faisait des cercles en même temps, j'ai dû nettoyer des mandalas dans le salon.

- Je l'ai offert à Thierry pour son anniversaire mais il a été battu (le chien, pas Thierry) et il supporte pas les hommes. Du coup, si Thierry est seul avec lui, il l'aboie toute la soirée.

- Il est pas méchant, faut juste pas s'approcher trop près avec son visage. Tu voudrais pas le garder pendant nos vacances ? C'était ma maman qui devait s'en occuper mais elle veut plus depuis qu'il lui a mordu la joue.

- Je sais qu'on le trouve moche, au début, mais après on s'y fait. Et c'est pas de sa faute, non plus, le pauvre.

- Les parents de Thierry veulent pas le garder non plus parce qu'il a été habitué à chier sur une alèse, alors parfois il s'oublie dans la maison.

- Je l'ai amené chez le véto pour faire une étude comportementale, il a mordu l'assistante.

P.A. à Thierry :

- T'as pas une pelle plate ?

Le temps de visiter Lacoste, ses Anglais, son marquis de Sade et son éléphant rose, j’ai terminé mon livre et j’en commence un nouveau. C’est difficile de passer à autre chose. Je n’ai qu’une envie, c’est de relire Hosseini, les Cerfs-volants de Kaboul et L’écho infini des montagnes.

- C’est pas tout ça, mais moi, me faire une étape du Tour de France et un match avec Bacsinszky, ça m’a drôlement fatigué, annonce mon oncle. Je vais m’allonger un moment.


Alors, avec Anne-Cécile, Roxane et Lou-Ann, je me prélasse sur une terrasse au bord de l'étang de Cucuron. Nous nous goinfrons un peu trop et buvons un coup de rosé (pas plus, c'est pas notre genre). Elle est pas belle, la vie ?




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