Durant mon temps librement géré du week-end, je n'ai pas fait qu'écrire, j'ai aussi réalisé ça. Folle, la guêpe.
En relisant ces lignes (voir Journée bulle, pour ceux qui ne suivent pas), j'en entends déjà qui pensent tout haut. Comment ça, je n'aime pas les enfants? Pas du tout, chère madame. Si c'était le cas, je ne pourrais pas en rire, je les vomirais. Je vous l'accorde, j'ai juste un peu de mal avec ceux qui n'ont pas été éduqués. Par contre, des sympas, de ceux qui me font rire, me passionnent, me touchent, justifient mes heures de préparation, il en reste plein mais je n'en parle pas ici parce que ça deviendrait tout de suite plus gnangnan.
Oui, je sais, cher monsieur, je m’y suis mise moi-même dans cette situation, de quoi me plains-je? J’ai choisi de ne plus être enseignante généraliste mais à l’heure actuelle je ne sais pas encore s’il y a plus d’avantages ou d’inconvénients à ne plus être. Telle est la question.
Si les avantages se mesurent dans la béatitude de ne plus devoir jongler avec les réunions de parents, les réseaux, les rapports, les contacts téléphoniques, les rédactions de mails, les sorties pédagogiques, les cours de natation (sic!) et j’en passe, je peux développer ci-après quelques inconvénients auxquels je n’avais pas forcément pensé en changeant de cap professionnel. Dans les plus louables, le petit pincement au coeur de ne plus entretenir un contact privilégié avec un groupe classe et de ne plus pouvoir dire « mes » élèves, parce que, tout de même, c’est ma tête qu’ils voient le plus dans la journée avant celle de leurs parents. De ne plus avoir le loisir de monter des spectacles à l'aide d'adaptations maison du Petit Nicolas et de voir soudain sous mes yeux émerveillés certains mômes se révéler en tant qu’acteurs.
L’autre désavantage de n’enseigner en majorité plus que les périodes artistiques est de devoir en fin de compte porter, presque à plein temps et à bout de pieds foutus, les branches les plus pénibles d'un point de vue bêtement physique, sachant qu'en plus des élèves, il faut arriver à gérer le matériel, l’espace et l’imprévu.
On ne le dira jamais assez, il est difficile de garder le contrôle sur un groupe de plus de deux individus lorsqu’il y a intervention d’un élément extérieur salissant et si possible liquide. A fortiori sur une classe de vingt-deux adolescents. Utiliser un simple gobelet d'eau avec ces derniers, c'est déjà prendre autant de risques qu'un flic qui cherche un nom sur les boîtes aux lettres déglinguées d'un immeuble de Sarcelles. Et quand on sort l'encre de Chine ou le Colorex, là, il faut s'attendre à devoir mener la bataille de Waterloo sur tous les fronts, et sans intervention de l'armée prussienne.
Un collègue me le rappelait encore l’autre jour: «Je me souviens, quand j’avais des stagiaires, je leur disais que si l’on savait gérer un cours de dessin ou de gym, on pouvait tout enseigner. D'ailleurs, c'était ce qu'on nous répétait déjà à l'Ecole normale.»
Voilà! Alors! Qu’est-ce que je disais?!
Une autre amie instit a appuyé récemment sur un point sensible: «J’ai lu qu’il ne faut jamais enseigner la branche qui te passionne, sinon tu te prends de sérieux revers de manivelle dans la figure. Par exemple, moi, je suis passionnée d’ornithologie, c’est quelque chose qui occupe la plupart de mes loisirs. J’adore ça, tu vois? Alors, quand j'ai présenté à mes élèves mon sujet sur les oiseaux et qu’ils ont déçu toutes mes attentes, je peux te dire, je les ai détestés.»
Pour quelqu’un qui fait de la peinture et du dessin, qui s'amuse avec de l’art postal et du montage vidéo, qui ne part jamais sans un carnet de voyage, colle des scotchs dans des carnets créatifs, passe des heures à préparer la biographie d’un peintre, s’intéresse à la photographie, il semblerait qu’en choisissant de n’enseigner principalement plus que les arts visuels, je me sois mise un petit peu, toute seule et comme une grande dans un sérieux cacao. Question gestion de mon affectif.
Sans oublier qu’en dehors de tout cela, je continue à être le témoin parfois impuissant de quelques comportements qui peuvent me laisser tour à tour étonnée, effarée, voire consternée. Les bras m'en tombent, si vous voulez que je résume. Et aussi bien certains enfants que ceux qui les ont tricotés peuvent me les faire tomber.
Je n’ai donc pas fini de me poser quelques questions sur le métier et les formes qu’il peut prendre et l’on me pardonnera alors peut-être de l’analyser parfois sous l’angle qu’il me plaît d’adopter et qui m’offre, si ce n’est des pistes, du moins un exutoire.
Comme je n’ai pas encore trouvé d’activité accessoire qui permette d’utiliser mes acquis pour un salaire au moins équivalent à celui que j’ai maintenant, j’apprécierais pour l’instant de ne pas être virée sur-le-champ. Au quel cas, il faudrait que j’aille m'acheter un petit carnet vierge pour m’employer à rechercher un sens à donner à ma vie dans mon bullet journal, mais pas avant le 1er janvier de l’année prochaine. Histoire que les choses soient ric-rac, propres en ordre dès le début.