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Photo du rédacteurKarin

Lettre fictive à la Conseillère d'État



Madame la Conseillère d’Etat,

Depuis le début de l’année scolaire, une élève vient régulièrement en classe avec un serre-tête agrémenté d’oreilles de tigre. Si j’ai été un peu surprise par cette mode enfantine au CYP2/1 - 3ème primaire - 5ème Harmos, soit 5P, je n’en ai rien dit.

Un jour, pourtant, alors que la dite élève bâillait ostensiblement pendant que j’expliquais quels devoirs prendre pour le lendemain, chose qu’elle oubliait de manière systématique, la remarque m’a échappé.

- Machine * ! Ouvre tes quatre oreilles !

- Hein ?! Quoi ?! J’ai pas quatre oreilles ! a-t-elle répliqué sur le ton traînant et agacé de pré-adolescente dont la bulle se retrouve soudain envahie par les effluves d'un adulte nuisible.


Ce qui explique pourquoi les oreilles de tigre en fourrure synthétique ne manquent pas de m’étonner au-dessus des Converse négligemment posées sur la chaise vide d’à-côté.

- Ben oui, quoi ! Deux et deux, ça fait quatre ! n’ont pas tardé à lui expliquer quelques-uns de ses congénères à grands renforts de gestes.

Mes élèves maîtrisent parfaitement le répertoire additif jusqu’à cinq.

La meilleure amie de la Tigresse, ne voulant certainement pas être en reste, est alors arrivée plusieurs après-midi de suite avec un serre-tête surmonté d’un mini-chapeau à voilette. Trop petit pour faire concurrence à ses énormes lunettes, mais assez grand pour être porté par un caniche de cirque ou par Marlène Dietrich bébé.

J’ai préféré regarder ailleurs et faire profiter mes collègues de mes observations.

Heureusement, l'arrivée imminente du printemps aidant, les oreilles de tigre ont été remplacées par un objet similaire en plastique rose fluo, orné d’une grosse boule en tulle du même ton, qui pourrait parfaitement servir à se rincer sous la douche. Cela ne me dérange pas, même si j’ai plus souvent qu’il n’en faut l’oeil attiré au centre de la classe, me demandant pendant une fraction de seconde si l’alarme incendie ne s’est pas déclenchée. Ou alors est-ce mon cours de français qui soudain bat de l’aile : me voici propulsée avec nostalgie sur les pistes de ski des années quatre-vingts et les combinaisons pétantes érigées comme un must.

Mais voilà qu’aujourd’hui, la copine au petit chapeau en rajoute une couche et revient tout droit de Disneyland avec des oreilles de Minnie flanquées d’un monstrueux noeud rouge à pois blancs. J’avoue être au bord de la rupture.

Moi qui, chaque matin, m’échine à domestiquer le pin parasol grisonnant qui me sert de chevelure, à bâtir un échafaudage plus ou moins symétrique dans le souci de ne pas faire loucher mes futurs interlocuteurs, ne ferais-je pas mieux de pallier au problème une fois pour toutes en m’achetant un serre-tête de Playmate rose bonbon ?

Au sommet de l’horreur, la nuit, dans mes insomnies, j’imagine soudain que la mode se propage parmi les garçons. Et que je me retrouve un matin à prendre note des devoirs non faits parmi des oreilles de Spock ou des cornes d’escargot.

C’est pourquoi, et afin de préserver les quelques neurones qui subsistent parmi vos enseignants qui ne sont pas encore en burn-out, je vous demande ici, Madame la Conseillère d’Etat, de revoir dans la loi scolaire certains codes vestimentaires, en plus des pantalons qui laissent voir la couleur du caleçon s'il y en a un et de l'économie de tissu affichée par certaines demoiselles.

Veuillez agréer tout ce qui sera absolument nécessaire.

Une enseignante

* prénom d'emprunt

Photo en titre : Robert Doisneau

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